Lancé par cinq femmes du 20e, cette épicerie bio est accessible à tous les revenus
Saveurs en Partage, qui a ouvert le 9 juin au 38 boulevard Mortier, se situe sur la pente entre les stations Porte de Bagnolet et Séverine du tramway T3b. A première vue, cette épicerie bio ressemble aux autres qui ont ouvert dans le 20e arrondissement ces dernières années. Des distributeurs transparents proposent une sélection de produits secs en vrac. Des étagères en bois clair présentent des produits locaux ou issus du commerce équitable. Des caisses en bois débordent de fruits et légumes biologiques frais provenant de Rungis ou du jardin pédagogique cultivé au collège voisin Pierre Mendès France.
Mais Saveurs en Partage n’est pas un magasin bio comme les autres. C’est le fruit de six années de travail par cinq femmes pour rendre la nourriture bio accessible à tous les revenus, tout en développant le pouvoir d’agir (l’« empowerment ») du quartier.

Aminata Ba, N’Daye Marna, Marie-Claire Peguet, Mina Hassaine et Samia Haddam se sont rencontrées il y a environ six ans aux Lundis Femmes Solidaires, un atelier hebdomadaire entre femmes au centre social Archipélia. Ensemble, elles ont participé à des « marches exploratoires » pour identifier les besoins du quartier.
« Moi j’ai dit : « Ce qu’il me manque c’est un magasin bio accessible aux femmes au faible revenu. » » lance N’Daye. Mère de cinq enfants, N’Daye explique qu’elle a souvent eu du mal à nourrir sa famille avec des produits frais et sains. Les magasins bio de la rue des Pyrénées étaient trop chers, et Les Restos du Coeur, dont elle était dépendante pendant presque cinq ans, ne proposaient que des conserves. « Pas de fruits, pas de légumes » se souvient-elle.
Mina, qui a quatre enfants, confirme :« Ce n’est pas facile quand tu as des enfants. Il faut qu’ils mangent bien, qu’ils mangent des fruits et légumes pour la santé. »
Motivées par leurs expériences, Mina et N’Daye, alors mères au foyer, ont commencé en 2014 à se réunir chaque semaine avec Aminata, aide à domicile, Marie-Claire, nouvellement retraitée de l’Education nationale, et Samia. Elles ont monté une association et exposé leur projet. Elles voulaient créer un épicerie bio viable, qui serait accessible à tous les revenus et qui serait un lieu de rencontres. Elles voulaient aussi créer des emplois valorisants, se professionnaliser et développer leur pouvoir d’agir, pour elles-mêmes mais aussi pour d’autres.
« Au coeur de notre projet, c’est de montrer qu’on est cap. Yes we can! » dit Marie-Claire.
Et elles l’ont fait. Elles ont trouvé des sponsors, obtenu des subventions et suivi des formations. Elles ont analysé la concurrence, trouvé des fournisseurs et fait connaître leur projet en participant aux marchés et aux fêtes du quartier. Elles ont aussi travaillé avec des assistantes sociales et les services de la Mairie de Paris pour créer la clé de voûte de leur projet : un système de double tarification. Ce système unique accorde une réduction de 70 % sur les produits de première nécessité aux bénéficiaires orientés vers Saveurs en Partage par les services sociaux du quartier. Ainsi, pour un panier de 10 euros, ces clients paient 3 euros de leur poche et les 7 euros restants sont déduits d’une carte de paiement de solidarité (CSP) personnelle.


Mais pendant que leur projet prenait forme, d’autres magasins bio ont commencé à émerger à travers l’arrondissement, obligeant ces femmes à repenser leur idée de s’installer dans le quartier des Amandiers-Belleville. Le Maire du 20e, qui les aidait à trouver un local, leur a suggéré le quartier des Fougères, qui manquait de magasins de ce type. Elles ont donc fait une nouvelle marche exploratoire et ont confirmé le besoin du secteur. Pourtant s’installer dans cette enclave entre les boulevards des Maréchaux et le Périphérique, est un défi : « C’est un quartier où il y a tout à inventer » dit Marie-Claire.
Depuis l’ouverture début juin, Saveurs en Partage reçoit une trentaine de clients par jour et, selon N’Daye, « tous ceux qui franchissent la porte disent qu’on avait vraiment besoin de ce type de magasin ». Mais l’épicerie aura besoin de deux ou trois fois plus de clients pour être viable, estime Marie-Claire.
Alors que le magasin trouve ses marques, Saveurs en Partage avance sur ses buts sociaux et solidaires. L’association a embauché N’Daye à plein temps et vient de signer un contrat à temps partiel avec Mina. Elle a aussi engagé un homme, Kemy Mavatiku, à plein temps. Par rapport à ses précédents emplois dans la grande distribution, Kemy apprécie que l’« on n’est pas dans la culture du résultat. L’objectif premier n’est pas financier, c’est de répondre aux attentes de la population du quartier. » À la demande des clients, dit-il, ils ont ajouté du lait de soja, des pois chiches en vrac et de la pâte d’amande à leurs rayons. Ils s’efforcent aussi de répondre au besoin des élèves du Collège Pierre Mendès France de proposer des sandwiches et des salades.
« C’est quelque chose de voir naître ce projet, dit N’Daye, ça me fait un tel plaisir. »

Saveurs en Partage
38 boulevard Mortier
Tram Séverine
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