Le goût du Nouvel An Chinois

Deux personnalités du 20e parlent de cette fête et de la façon dont ils la célèbrent

Le Nouvel An chinois est tombé le 12 février cette année. En cette journée d’hiver très froide et ensoleillée à Belleville, où vit l’une des plus grandes communautés chinoises de Paris, les célébrations de l’Année du Buffle sont pourtant passées presque inaperçues du grand public. Les défilés que le quartier a l’habitude de voir ont de nouveau été annulés cette année à cause du Covid.

« On fait chaque année depuis 2012 un défilé du nouvel an chinois sur le terre-plein central de Belleville jusqu’à l’année dernière, quand il y a eu le Covid », explique Martin Shi, vice-président de l’association de quartier qui organise les célébrations. Cette fête marque le début d’une nouvelle année du calendrier luni-solaire traditionnel chinois, ainsi que la fin de l’hiver et l’arrivée du printemps. Cette transition est célébrée à partir du réveillon jusqu’à la fête des lanternes, qui a lieu le 15e jour de l’année. Le Nouvel An est l’une des fêtes les plus importantes en Chine et pour les personnes d’origine chinoise vivant en France et à l’étranger.

« C’est une fête où l’on retrouve la famille, les amis et on va faire un grand repas. Les chinois sont comme les français : tous les grands moments sont liés à la cuisine, à la nourriture, aux repas, à la famille », explique Donatien Schramm, sinophile et guide incontournable de Belleville et des autres quartiers chinois de Paris.

Le symbolisme est très important dans le choix des plats et la façon dont ils sont préparés et consommés. « Les Chinois adorent tout ce qui est jeu de mot, tout ce qui joue sur les formes, etc. Ils attachent une grande importance à tous ces symboles », dit Donatien. Par exemple, un plat très commun dans le nord pour le Nouvel An sont les jiǎozi, « et comme ces raviolis ont la forme de lingots d’or chinois, ils sont signe de richesse », dit-il.

Dans le sud, selon Martin, les gâteaux de riz gluants appelés nián gāo, homophone pour « année haute », sont courants. Les autres aliments symboliques consommés pour le Nouvel An sont les nouilles de longévité (symbole d’une longue vie), le poisson (homophone pour « abondance ») et les mandarines (fruits de saison de couleur dorée et ronds, symbolisant la famille). On mange souvent dix plats pour le dîner du réveillon « parce que dix c’est parfait », dit Martin.

[PHOTO : plats à emporter de Chez Alex Whenzou, 24 rue de Belleville]

« Ce repas, on le mange normalement au moment du passage d’une année à l’autre, sachant que le lendemain c’est un jour où l’on ne va pas faire la cuisine. Parce que le jour du nouvel an, c’est un jour où l’on ne doit pas utiliser de couteau », explique Donatien. Éviter les couteaux est l’un des nombreux mythes et coutumes associés à l’entrée dans la nouvelle année, tels que régler ses dettes, faire exploser des pétards pour chasser les mauvais esprits et les maladies, ou faire des danses du dragon ou du lion pour porter bonheur.

« Il y a parfois des échanges de cadeau, mais surtout on donne un cadeau aux enfants, qui s’appellent hóngbāo, des enveloppes rouges dans lesquelles il y a de l’argent. Mes enfants adorent le nouvel an chinois parce que leur grand-mère leur donne des hóngbāo », dit Donatien. 

Donatien est tombé amoureux de la culture chinoise après avoir regardé le film Cerf-volant du bout du monde quand il était enfant à Marseille. Plus tard à Paris, il a rencontré sa femme, une parisienne d’origine chinoise. « Cela a réveillé mon amour de la Chine et je voulais comprendre pourquoi sa famille avait quitté Qingtian pour la France. J’ai donc fait beaucoup de recherches sur cette présence chinoise en France », explique-t-il. Donatien a appris le chinois par lui-même et à préparer des plats traditionnels en regardant sa belle-mère dans la cuisine. Il a fondé l’association interculturelle Chinois de France – Français de Chine, et est devenu guide conférencier basé à Belleville, où il vit depuis 30 ans.

« Ce quartier, c’est un quartier magnifique, avec des communautés très très différentes. La présence chinoise dans le bas Belleville est visible et donc c’est une des premières que l’on voit et l’une des premières à laquelle les gens s’intéressent. Encore que le monde chinois est souvent très mal connu et que les français ont une idée très très vague de ce que peut être la culture chinoise », explique Donatien. Il prend l’exemple de la cuisine chinoise : les nems sont vietnamiens, et le riz cantonais a été inventé en France. Donatien souligne également que la Chine est 17,5 fois plus grande que la France, avec de fortes différences entre les régions. « À  Belleville, la communauté chinoise est principalement originaire de la ville côtière de Wenzhou et de la campagne autour. Ça fait plus d’un siècle que cette communauté vit en France. Et elle est arrivée à Belleville à la fin des années 70 ».

Martin, originaire de Fuqing à quelques 400 km au sud de Wenzhou, insiste également sur les différences régionales. Martin est arrivé dans le 20e arrondissement en 2000. En 2011, il a participé à la création de l’association Les Commerçants Bellevillois pour assurer la sécurité des commerçants chinois du quartier. Une fois la situation améliorée, l’association a décidé de s’engager dans une cause plus sympathique : l’échange culturel, avec des événements tels que des dégustations de thé et des défilés du Nouvel An.

Aujourd’hui, Martin vit avec sa femme et ses enfants dans le quartier de Charonne, et il vient de terminer un mandat d’adjoint au maire du 20e. Pour ce Nouvel An, il dit : « On n’a pas fait grand-chose. A l’époque où l’on se voyait avec les amis, souvent on allait au restaurant. Cette année, on a juste fait un dîner le 11 au soir. On a pris les nián gāo. On a pris un peu de poisson ». 

Martin espère que les parades pourront reprendre dans un avenir proche. « Mais vraiment, si vous voulez découvrir le nouvel an chinois, il faut aller en Chine pour le voir », conclut-t-il en riant. 

Visites guidées par Donatien Schramm
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