Depuis 1986, le traiteur-épicerie de May Chabene est une valeur sûre pour les spécialités libanaises faites maison
Le bas de la rue de Bagnolet, juste avant le boulevard de Charonne et le métro Alexandre Dumas, s’anime à l’heure du déjeuner. Les piétons se faufilent entre les voitures, les scooters, les vélos ou le bus 76 pour passer d’un trottoir étroit à l’autre grâce à – ou malgré – plusieurs passages piétons. Ils s’arrêtent au distributeur de billets ou au tabac avant de faire la queue à l’une des boulangeries ou des traiteurs. Ceux qui attendent sous le store bleu du numéro 21 ont choisi une vieille connaissance : Alexi 20, le traiteur-épicerie libanais incontournable de la rue de Bagnolet depuis 35 ans.

La propriétaire, May Chabene, s’est installée dans le quartier de Charonne et a ouvert Alexi 20 en 1986 « par opportunité ». Née au Sénégal de parents libanais, May a vécu en Afrique et au Liban avant de s’installer en France en 1983. « J’étais venue dans le 20e parce que j’avais de la famille qui habitait dans la rue de Bagnolet. Et c’est eux qui m’ont trouvé cet endroit. Ils m’ont dit : “Voilà ce que tu peux faire comme travail. Allez hop ! Vas-y ! Bon courage !” Et c’est comme ça que c’est parti. »
Le nom de sa boutique est « un peu affectif », dit-elle : une référence à Alexandre Dumas, au roi grec Alexandre et au 20e arrondissement. « En plus j’étais ambitieuse, je voulais ouvrir une chaîne de 20 Alexi, mais ça n’a pas marché », dit-elle en riant.
Si les treillis, carrelage et tabourets blancs semblent inchangés depuis l’ouverture de la boutique, May explique qu’Alexi 20 a commencé comme une épicerie fine spécialisée dans les produits libanais. À l’époque, le Liban et sa cuisine étaient mal connus en France, explique May. « Je voulais faire connaître nos produits et surtout faire connaître le Liban parce qu’en 1986, il y avait beaucoup de terroristes et les gens pensaient que le Liban n’était que des terroristes. Personne ne savait ce qu’étaient les produits libanais. »
Alors que de grandes chaînes de supermarché ouvraient dans la rue, May a commencé à réduire son rayon d’épicerie et de produits en vrac et à proposer des plats préparés faits maison. « Au début, c’était ma mère qui faisait la cuisine. Puis ma belle-sœur Amal a pris la relève en 1990. J’aide en cuisine. Mais je suis plutôt relationnelle. Je m’occupe surtout du buffet », explique-t-elle, ajoutant que ce qu’elle préfère dans son métier, c’est le contact humain. Elle est directe, tutoyant tout le monde, mais polie, comme en témoigne le Diplôme d’Honneur de la Courtoisie Française accroché au-dessus de la caisse.



Elle a « beaucoup d’habitués. Avant, c’était plus cosmopolite, mais j’ai toujours beaucoup d’artistes, de chanteurs, de musiciens, d’architectes, de gens qui travaillent dans le quartier. Puis les anciens petits sont devenus grands, et ils ont fait des petits. Et puis les petits sont devenus grands ».
Quand les nouveaux ont besoin d’aide pour s’y retrouver dans les plateaux de friands ou de pâtisseries, May les guide. « D’abord, je leur demande s’ils sont végétariens, ou allergiques à certaines choses, ou s’ils mangent de tout. Voilà, et après ça suit son cours. Je n’ai pas de préférence. Cela dépend juste de la façon dont vous voulez manger le midi, c’est tout », dit-elle, tout simplement.
Les clients choisissent entre une dizaine de sandwichs, des mezzés ou un plat du jour comme des tomates ou aubergines farcies à la libanaise, des gumbos avec de l’agneau ou du moussaka-lentilles. May et Amal font aussi de la cuisine fusion : « Nous préparons même des haricots rouges comme un chili con carne à la libanaise ou nous faisons du poulet au curry à notre façon », dit May. Pour le dessert, elles préparent une sélection de gourmandises comme du baklava, des maamouls ou des pâtisseries spéciales pour les fêtes de l’Épiphanie, Noël et la Sainte-Barbe.

« La cuisine libanaise, c’est une cuisine qui est méditerranéenne. Vous allez dans tous les pays de l’empire ottoman, et vous trouvez la même chose, plus ou moins. Mais le taboulé et le kebbé sont deux plats principaux du Liban. Le taboulé libanais est une base de persil, avec des tomates et du blé concassé. Les taboulés que l’on trouve en France ont une base de couscous, et le couscous n’existe pas au Liban », explique-t-elle. « Les kebbés sont des boulettes de blé et de viande avec du “sept épices” [cannelle, piment de la Jamaïque, clous de girofle, coriandre, poivre, anis et noix de muscade] et du cumin. »
« En ce moment, ce sont les sandwichs qui se vendent le mieux », dit May. Un sandwich « mixte », par exemple, commence par deux pitas badigeonnées de houmous et plusieurs cuillères de taboulé, de fattoush (crudités au sumac et pain grillé) ou de salade de carottes et de chou (« pour ceux qui n’aiment pas le vert »). May recouvre le tout de falafel et de kefta émiettés et de tranches d’aubergines grillées avant d’ajouter un dernier trait de tahini.
Aujourd’hui, tout est soigneusement emballé pour être emporté. Et May est nostalgique de l’ambiance pré-Covid, lorsque des groupes d’amis se retrouvaient pour déjeuner autour des tables hautes d’Alexi 20. « J’espère que les choses vont reprendre », dit-elle.


Alexi 20
21 rue de Bagnolet
Métro Alexandre Dumas